Le jouet est actuellement le roi de Paris. On peut affirmer sans conteste qu'il tient le haut du pavé. Pour l'admirer, des cohues juvéniles... et adultes s'écrasent, devant les devantures de nos grands magasins, encombrent les vastes trottoirs, débordent sur la chaussée et rendent plus insoluble que jamais le problème de la circulation.
Hier jeudi, tous les records furent battus. Des cohortes de gigantesques sergents de ville soutinrent des combats glorieux mais non triomphants contre des régiments de petites filles et de petits garçons dont les gentils nez s'écrasaient devant les vitrines et qui se montraient bien résolus à ne pas quitter la place avant d'avoir tout vu et revu.
C'est que le spectacle en vaut vraiment la peine. L'art de l'étalage chez le marchand de jouets s'apparente à l'art scénique. Poupées, animaux articulés, soldats, polichinelles, colombines et arlequins, tout ce monde de féerie évolue dans des paysages de soleil et d'enchantement, montés, agencés, truqués à l'instar des décors de théâtres.
Comment nos pauvres gosses, qui pataugent dans la vilaine boue de Paris, ne seraient-ils pas éblouis par l'émerveillement de ces pays de rêve qu'ils aperçoivent de l'autre côté de la glace !
Entrons dans les magasins. Voilà bien une autre orgie de couleurs et de lumière. Y-a-t-il cette année, des nouveautés ? Certes ! Car jamais l'ingéniosité de nos fabricants parisiens n'est à court d'inventions.
Voyez ces animaux, auxquels un automatisme quasi-génial donne toutes les apparences de la vie. Un savant du muséum s'y tromperait presque ! Et ces ravissantes poupées entièrement confectionnées d'étoffes. C'est encore une trouvaille de Paris, Qu'elles sont élégantes, et comment voulez-vous qu'en les voyant si belles dans leurs robes de soie la Reine d'Angleterre songe à faire habiller sa fille à Berlin !
Et ces constructions de bambous, on ne les avait jamais vues non plus. Que de choses compliquées ont peut confectionner bien simplement avec ce bois souple !
Les enfants poussent des cris de joie et d'espérance. Puisse le Père Noël être généreux cette année !
Quant aux parents, qui ont avec le Père Noël de simples relations... financières, ils remarquent que les prix ont à peine baissé cette année. Soyons justes pourtant, on constate une diminution de 10 à 15 % sur l'ensemble des prix de 1920 . C'est au moins d'un heureux augure pour la vente qui, cette fois, est nettement supérieure à celle des années 1919-1920.
Hélas ! Toute médaille à son revers, et lorsqu'on parle, en cette saison de la fête des jouets, il convient de ne pas passer sous silence la guerre des jouets.
Nos fabricants français subissent un rude assaut des fabricants allemands : ceux-ci ont pris l'offensive et reconquis leurs positions d'avant-guerre : tous leurs représentants sur le marché français sont de nouveau à leur poste de combat, et des voyageurs venus de Nuremberg et de Leipzig parcourent nos provinces en offrant en guise de "Vergissmeinnivht", les dernières créations du Reich. La baisse du mark fournit actuellement aux fabricants d'outre-Rhin des armes redoutables, et notre coefficient de douane porté, en avril dernier, de 60 fr les 100 kilos à 240 fr, ne compense pas cet avantage. Le jouet allemand a beau être 15 fois plus cher qu'il n'était avant la guerre, son prix de revient converti en francs est encore très inférieur à celui du jouet français qui, lui, a simplement triplé de valeur.
La lutte est donc âpre entre le joujou de France et le joujou allemand . Mais le nôtre, fort heureusement, est si pimpant, si ingénieusement conçu qu'en fin de compte c'est à lui que la victoire sourit.