Avant l'ouverture officielle - Les petits inventeurs se groupent. Date avancée . Empereur du Sahara. Cake walk et Looping. - L'amusement des enfantsIl ne faut pas confondre l'exposition de jouets, qui ouvre aujourd'hui au rez-de-chaussée du Petit-Palais des Champs-Elysées, avec cette grande Foire aux jouets, qui est, depuis deux années, en préparation et qui n'aurait pas un objet moins vaste que de concurrencer la fameuse foire de Leipzig.
A cette manifestion d'ensemble de l'industrie et du commerce des articles d'étrennes, tous y prendront part - petits et grands, ouvriers qui cherchent dans le silence de leurs mansardes, industriels qui fabriquent, grands commerçants qui exposent et qui répandent, car il ne s'agit de rien moins que de rendre à la France son ancienne prépondérance.
Les vues des organisateurs de l'exposition qui s'ouvre aujourd'hui sont plus modestes, mais elles ne sauraient cependant nous laisser indifférents. Sans doute, les grands fabricants, les commerçants qui ont boutique sur rue ont été invités à exposer, mais ils ne profiteront pas de l'invitation qui leur a été faite par la Société des petits fabricants et inventeurs français, et nous ne serons amenés à parler ici que des dernières trouvailles de ces modestes inventeurs dont les ressources pécuniaires sont tellement infimes que souvent ils n'ont même pas l'argent nécessaire à l'achat des matériaux qui doivent entrer dans leur invention. Alors, ils se contentent de produire un dessin, un schéma.
Autrefois, il y a quelques années, ces modestes inventeurs étaient isolés, abandonnés à un individualisme funeste à leurs intérêts. Alors, on croyait que tous les jouets qui faisaient leur apparition sur nos boulevards, vendus par des camelots, étaient des productions de l'Allemagne, ainsi que les jouets vendus dans les bazars. Eh bien ! il n'en était rien. C'était une production bien française. Mais celui qui avait conçu cette oeuvre et l'avait réalisée était contraint de vendre son idée à un gros fabricant, à des prix souvent dérisoires - cinq ou dix francs, pas davantage - et son nom, son nom d'artiste, de penseur, de créateur, disparaissait dans le fouillis anonyme d'un grand bazar ou d'un magasin d'articles d'étrennes.
Or, l'idée de se grouper vint à ces travailleurs isolés - ouvriers, mécaniciens, employés de bureaux, garçons coiffeurs, etc, et la Société des petits fabricants et inventeurs français naquit, en 1901, à la suite de l'heureuse initiative qu'eut M. Lépine lorsqu'il imagina la première exposition de jouets.
Désormais, en se présentant chez un grand fabricant pour offrir son idée, le petit inventeur se sentait appuyé, soutenu par la collectivité des autres petits inventeurs comme lui et il eut plus d'ardeur pour maintenir ses prix de vente. Et puis, si le fabricant fait défaut, l'idée peut plaire à un capitaliste, qui se charge de l'exporter, de compte à demi avec l'inventeur. Par les expositions qui ont lieu chaque année, le petit inventeur peut exhiber ses oeuvres, les soumettre à l'appréciation des amateurs et s'attirer des commandes directes des grandes maisons de France ou de l'étranger.
La première exposition eut lieu, en décembre 1901 , au Tribunal de commerce ; la deuxième, l'année suivante, au Jardin de Paris, mais elle fut avancée de deux mois ; et, cette année, comme on le voit, c'est avec une nouvelle avance d'un mois qu'elle a lieu.
Pourquoi ces changements de date ? Le président de la Société, M. Seigneurie, nous l'a expliqué.
- Nous voulons, nous a-t-il dit, que les petits inventeurs puissent tirer profit de leur invention. Pour bien faire, il faudrait que notre exposition ait lieu en mai. C'est à cette époque, en effet, que les commissionnaires échantillonnent ; puis ils envoient les échantillons à l'étranger, qui fait ses commandes. Les expéditions ont lieu ensuite vers la fin novembre, pour qu'on soit prêt, à Londres, au moment des fêtes de Christmas, qui précèdent un peu les nôtres... En avançant, chaque année, notre date d'exposition, nous arriverons à l'ouvrir en mai, et alors ce sera définitif.
Quand il nous eut donné ce détail intéressant, - c'était hier, - le président voulut bien nous permettre d'entrer dans les salles d'exposition. Elles sont au nombre de trois. Dans la première, sont exposés les jouets ; dans la deuxième et la troisième aura lieu la vente d'objets, dits articles de Paris, et, alors, là, un certain nombre de commerçants de Paris se mêleront aux producteurs individuels. Entre la première et la deuxième salle, un salon circulaire sera garni de tables où l'on pourra consommer, aux mêmes heures où aura lieu, chaque jour, un concert.
Nous avons vu des jouets, et, sans déflorer l'impression qu'auront aujourd'hui ceux de nos lecteurs qui assisteront à l'inauguration, nous pouvons dire que certains témoignent d'un grand sens d'actualité et d'humour. Comment ne pas rire comme un enfant lorsqu'on se trouve en présence d'un Empereur du Sahara qui, de chaque main, vous offre un morceau de sucre, - au dernier prix - et qui est drôlement chapeauté d'un énorme pain de sucre ? Et, ma foi, nous croyons bien qu'il danse aussi le cake walk, en plein désert
D'ailleurs, qui est-ce qui ne danse pas le cake walk ? C'est une véritable sarabande de cake walkeurs et de cake walkeuses. Nous avons cru reconnaître la désopilante négresse Florida , et cette étrange Laure qui, après avoir dominé les fauves à la foire de Neuilly, danse maintenant un cake walk de sa façon à Bullier. Vraiment, ces fabricants de jouets ont de la curiosité et le goût très averti, car la ressemblance y est. Songez que ces jouets sont fabriqués à la main. Et, pourtant, quelles complications ! ... Quels détails amusants ou pittoresques !...
Outre le cake walk, c'est le looping the loop qui paraît avoir surtout excité l'ingéniosité des inventeurs. Mais il y a aussi une grève des musiciens : un violoniste frappe de son instrument, rouge, un malheureux musicien qui est tombé, en la crevant, dans sa grosse caisse, jaune. C'est la lutte symbolique du rouge et du jaune. Notons aussi la course de Paris-Madrid , la question de la tiare - se trouve-t-elle résolue ? - les deux mariés bretons de Pont-Aven , qui ne paraissent point, tant leur mine est réjouissante et leur costume pimpant, avoir été atteints par la misère.
Les boules pneumatiques ont permis une transformation heureuse du jouet... animé. En pressant une sur boule de caoutchouc, chacun pourra mettre en mouvement les êtres et les choses.
Signalons aussi le jouet qui rappelle à l'enfant un des symboles qui, surtout, ont charmé sa jeune imagination. Un garçon coiffeur, M. Léontin Noguier, expliquait à quelques personnes, lorsque nous avons atteint son exposition, le mécanisme de son jouet. c'est une cheminée sur laquelle a surgi un arbre de Noël chargé de friandises. Préalablement, on a tourné une mécanique, et, ensuite, à volonté, on peut, en déplaçant simplement un crochet, mettre l'arbre en mouvement, et, en même temps, l'enfant ravi voit descendre dans la cheminée, puis disparaître, en remontant, l'enfant Jésus chargé des présents que ses voeux attendent à chaque Noël.
... Et ce n'est pas tout. Mais comment tout épuiser dans cet article ? L'exposition va ouvrir. Elle durera environ trois semaines.
Pendant ce temps, les membres du comité de la Société, MM Seigneurie, Top, de Champville et Mangen, seront à tous les désirs de leurs visiteurs. Cet après-midi, ils recevront les représentants des ministres.
Hier, ils se sont montrés très accueillants avec les représentants de la presse, auxquels un bureau spécial est réservé.
L.P.
France Militaire du 12-13 janvier 1896Les Jouets mécaniques
"Approchez, Mesdames et Messieurs ! Venez voir la grande nouveauté de l'année ! Tout marche, tout fonctionne ! C'est curieux, c'est nouveau, c'est bien fait ! Prenez l'objet en main, madame. Ne craignez pas de toucher : tous nos jouets sont garantis ! C'est un joli Cadeau à faire à un enfant ! Cet article est français. Il ne doit rien à l'étranger ! Deux sous, le petit coq japonais, deux sous ! Demandez les moustaches d'Arton. Qui n'a pas de moustaches ?...".
Ainsi de la Madeleine à la Bastille, s'époumonent les marchands des petites baraques éphémères, en ces premiers jours de l'an nouveau, cependant que les promeneurs, le nez rougi par le froid, engoncés dans leurs vêtements, s'en vont de boutique en boutique, heureux de ce beau jour d'hiver où tout est à la joie.
On s'amuse de tout : des boniments des camelots, des cris de joie des bambins, des jouets curieux qui s'agitent de ci de là, sur les comptoirs, sur les tables, voire même tout simplement sur le bitume avec des mouvements saccadés d'automates.Parmi toutes ces petites merveilles qui éblouissent les regards et tentent les porte-monnaie, ce sont naturellement les jouets mécaniques qui éveillent le plus la curiosité.
L'homme est si attaché à la vie, quoi qu'il en dise, qu'il ne peut s'empêcher d'en aimer jusqu'à l'illusion.
Il ne faut pas mépriser les jouets. Ils ont dans l'histoire leur importancescientifique et tel d'entre eux, qui ne coûtera que quelques sous, provoquera parfois la réflexion mieux que l'eût fait la plus savante expérience de laboratoire.
Héron d'Alexandrie , quelque cent ans avant Jésus-Christ , a décrit de curieux appareils, qui ne sont cependant que des jouets, mais que rend des plus remarquables l'application ingénieuse des propriétés fondamentales de l'air chaud et de la vapeur.
Faut-il citer l'artifice amusant de quelques temples où des statues placées sur l'autel faisaient des libations dès que s'allumait le feu des sacrifices ? Le miracle était dû à la dilatation de l'air, sous l'influence de la chaleur. Cet air renfermé dans un récipient placé sous le foyer de l'autel, augmentant de volume dès que le feu brûlait au-dessus, comprimait le liquide occupant le fond de la boîte et le forçait à monter dans une petite conduite dissimulée dans l'intérieur de la statue, pour le faire arriver dans la coupe d'où il coulait tant que durait le feu.
La poudre de guerre, sur la puissance de laquelle repose l'équilibre instable des États modernes, servait en Orient, il y a de longs siècles, à de simples et joyeux feux d'artifices. Si même l'on en croit Roger Bacon, les enfants de chez nous s'amusaient de ce mélange explosif deux cents ans avant la découverte des canons.
Le cerf-volant , qui a passionné notre enfance, n'est-il pas devenu l'aéroplane des chercheurs de navigation aérienne par le plus lourd que l'air ? N'a-t-il pas servi à Franklin pour démontrer l'existence de l'électricité atmosphérique ?
Et le ludion ? Qui ne se rappelle l'avoir vu, ce petit diablotin de verre monter et descendre dans sa carafe pleine d'eau, au commandement de son maître ou de sa maîtresse, diseurs de bonne aventure en plein vent ?
On sait comment il fonctionne. Suspendu à une petite boule creuse percée d'un trou et où un peu d'eau est entrée, en équilibre de pression avec l'air resté dans cette boule, il est encore un peu plus léger que l'eau dont il occupe la place ; aussi se tient-il tout en haut, contre la membrane du parchemin qui ferme la carafe, au ras du liquide. Vient-on à appuyer sur cette membrane, on comprime l'eau qui entre alors en plus grande quantité dans la boule du petit diable, en refoulant encore davantage l'air qui s'y trouve et qui lui faisait tout à l'heure équilibre. Le ludion, devenu plus lourd par l'introduction de cette eau, descend alors au fond de sa prison.
C'est exactement ainsi, en introduisant de l'eau dans sa coque ou en la rejetant à la mer, que le bateau sous-marin le Goubet parvient à monter et à descendre à volonté au sein de l'onde-amère, ainsi que je le rappelais, à cette place même, dans mon dernier article. On pourrait d'ailleurs, citer bien d'autres exemples de ce genre, et l'on ferait une étude de physique et de mécanique des plus complètes rien qu'en décrivant les ingénieux jouets que l'homme a inventés pour amuser les bébés.
Je ne vois même pas pourquoi, puisque nous sommes entrés dans la voie d'enseigner de bonne heure les sciences aux enfants, nous ne leur mettrions pas dans les mains, pour commencer, les ouvrages de physique amusante, dont les professeurs répéteraient même devant eux les curieuses expériences, bien plus capables de se graver dans leur esprit que les principes arides d'un cours de physique, fût-il le mieux fait du monde.
Permettez-moi, pour finir, de vous présenter quelques-uns de ces petits joujoux du jour, qui amusent grands et petits par leur variété et leur imprévu.
Voici d'abord la grenouille nageuse qui agit les pattes en son bocal plein d'eau, tout comme le ferait une grenouille en chair et en os, grâce aux impulsions transmises par l'air d'une poire en caoutchouc que le marchand tient dans sa main et comprime et détend tour à tour.
Ici, c'est la boîte magique sur laquelle dansent de petites figures simplement posées sur le couvercle qu'un aimant caché dans l'intérieur et mû par un ressort, entraîne dans son mouvement de rotation.
Voici les petits moteurs à vapeur , machine verticale ayant cylindre, piston et volant, et que la chaleur d'une lampe à esprit de vin fait fonctionner.
La course de taureaux montre un toréador tendant la muelta rouge à l'animal qui fond sur lui les cornes en avant et le poursuit tout autour de son pivot en une course enragée. Les dispositions de ce jouet m'ont paru dignes d'une courte description, tant elles sont ingénieuses. Le principe de la force motrice est un gros morceau de caoutchouc que l'on tord par un bout sur lui-même au moyen d'une manivelle pourvue d'un cran d'arrêt.
L'autre extrémité se détord, dès qu'on lâche l'appareil, en entraînant une roue dentée verticale, qui engrène avec une autre roue horizontale faisant tourner à son tour l'axe auquel est attaché le taureau par une petite tringle horizontale. Pour donner à cet animal l'apparence de la vie, il ne fallait pas le faire tourner tout d'une traite autour de l'arène, mais le lancer par bonds saccadés. L'inventeur y a pourvu en installant dans son mécanisme un balancier à échappement qui arrête la roue dentée verticale, chaque fois qu'elle avance d'un cran. C'est tout simplement l'échappement à ancre de nos pendules.
Ce n'est pas tout. Il était bon que le taureau, au moment d'atteindre son fuyant ennemi, baissât la tête pour lui donner des cornes dans le ventre. pour cela la petite tringle horizontale au bout de laquelle est fixé le taureau, porte près de l'axe un petit bras qui vient heurter sur la tringle du toréador. A ce choc la tringle du taureau tourne un peu sur elle-même et fait baisser la tête à l'animal furieux. Enfin, il fallait imiter le mouvement de galop, ce qui se fait simplement par les heurts successifs du petit bras dont je parlais tout à l'heure, contre des reliefs disposés en rayons tout autour du pivot. Cet artifice donne au taureau une apparence de vie tout à fait étonnante.
On le voit positivement, à chaque élan, tendre les jarrets pour s'élancer sur son adversaire.
Il y a aussi le hanneton , tout brillant d'éclatantes couleurs, dans lequel un système compliqué d'engrenage, comprenant, s'il vous plaît, deux roues dentées, deux pignons et deux excentriques, font mouvoir les pattes et battre les ailes du coléoptère de fer blanc, au point de faire croire, quand on le prend à la main, qu'il se débat comme un véritable insecte qui veut reprendre sa liberté.
Ce sont bien les deux plus ingénieux jouets que j'aie vus cette année et ce qui complète leur physionomie si intéressante c'est le prix étonnant auquel leurs industrieux inventeurs sont parvenus à les établir.
On les donne, l'un comme l'autre, pour 29 sous.
Après cela, il faut tirer l'échelle.
Pierre Legard.